Roxane Ca'Zorzi

Que des histoires!

renard blanc sur tronc

L’éblouissement pour oriflamme

Naïa museum

Cette fois encore, l’automne me prend au dépourvu. La caresse vive du soleil à même la peau me manque. Alors, j’écarte les fantômes de l’été pour plonger à la rencontre de ce qui écarte la mélancolie, donne le souffle.

Il y a des joies simples. La nouvelle affiche des Alliés en fait partie. Elle rend tangibles à la fois la dimension mythique du récit et le lien puissant et sensible qui, parfois, unit un.e humain.e et un chien ou un cheval.

Il y a aussi eu le banc d’essai des Biographies animales avec Ludwine Deblon au petit théâtre Mercelis. C’était un plaisir d’échanger en bord de scène avec les trois classes de primaire invitées. Dans une de mes histoires, un jeune pilote se démène pour que le chien à qui il a sauvé la vie mais qui a aussi sauvé la sienne devienne immortel. Ce jour-là, avec les questions des enfants, c’était comme si la présence de son chien tant aimé planait parmi nous et son vœu avait été exaucé.

Il y a les retrouvailles prochaines avec Mon sang coule dans tes veines lors d’une balade contée au Cimetière de Bruxelles, écrin parfait pour, avec Julie Boitte, convoquer nos héroïnes à travers les brumes du temps. Et toujours en lien avec Mon sang coule dans tes veines, quelque chose s’élabore doucement et nous sommes très impatientes de dévoiler cela prochainement.

Il y a J’ai tant rêvé de toi. La grande aventure de cette création radiophonique s’est vraiment terminée, après de derniers changements pour mieux laisser les voix, les ambiances sonores et les compositions musicales s’épanouir dans leurs espaces ou se mêler dans la houle du récit. Cela me laisse étrange. La gratitude et la tendresse pour les belles personnes qui m’ont entourée tout du long de cette lente élaboration m’accompagnent même si un certain vague à l’âme s’invite cependant quelquefois. Une autre part de l’aventure commence avec les écoutes publiques qui se profilent. La voix du poète -hippocampe et la phosphorescence sont prêtes à résonner à travers toutes les noirceurs.

Les prochaines semaines vont être fort occupées par le rendez-vous fixé avec Nos Dames du Lac, la nouvelle création en cours, avec Julie Boitte. C’est ce moment magique où les signes de leur présence s’invitent de plus en plus régulièrement. Dans l’odeur de cire des bougies, dans la lueur des flammes, échos de lointains bûchers, sous l’écorce d’un chêne centenaire, dans le bouillonnement des fontaines, dans les reflets des miroirs, Elles apparaissent, furtivement encore mais de plus en plus proches. Dans les songes et les brèches du temps, Elles sont là. La fée s’approche de Julie, la souveraine se glisse dans mes pas. Peu à peu, un fil se tend, les bribes de l’histoire se tissent dans le brouillard, le mystère se dévoile, fragmenté encore. C’est comme une errance lors de laquelle nous assistons aux évènements de l’ histoire qui se déroulent sous nos yeux pendant que la charpente du récit se construit. Trois résidences s’annoncent à l’abbaye de Maredsous, au Moulin du Marais (Pôle culturel régional des arts de la paroles du Poitou-Charentes) et à l’Atelier d’Albert (à Wépion) pour nous guider dans ce voyage entre châteaux et forêts anciennes, à la rencontre de Morgane et Guenièvre, ces héroïnes, chacune à la proue d’un monde prêt à disparaitre.

Tant d’émotions et de vertiges! J’éprouve parfois la sensation de tenir mon coeur entre les mains en le sentant battre pourtant dans tout mon être, avec le fil de l’éblouissement qui vibre et qui est le charme protecteur.

Où est passé le cheval? Où est passé l’homme? Où sont passés les donneurs de trésor?
Où sont les sièges de la fête? Où sont les joies du château
Adieu la coupe étincelante. Adieu le guerrier en armure.
Adieu la puissance princière. Voyez comme cette époque a passé,
disparue dans le néant sous le heaume de la nuit, comme si elle n’avait jamais été.

The Wanderer, The Exeter Book

Fragilité souveraine

L'arbre d'or, Brocéliande

En été, quand la chaleur et la lumière se font trop fortes, certains êtres se plongent dans un état d’engourdissement. La salamandre tachetée, le papillon citron, l’ocellé, le triton vert, le crocodile, le crapaud calamite glissent dans la léthargie salvatrice. Au contact de l’eau, en un éclair, la vie reprend. Est-ce que des songes peuplent cette dormance éphémère?

Adossée à un rocher, au soleil, face à la mer, dans un état de quasi estivation, je me suis enfouie dans des lectures. Pages après pages j’ai nourri mes rêveries. Les vagues et les échos de mes ami.es m’ont ramenée en éveil, en attente des beautés à venir.

J’ai tant rêvé de toi, fiction radio autour de Desnos, soutenue par l’ACSR, le FACR et les Amis de Robert Desnos, a été diffusée pour la première fois sur Radio Campus, le 18 juillet, à minuit. C’est à l’automne que vont pleinement s’organiser diffusions, séances d’écoute et mises en ligne. Mais ce soir du 18, il y avait cette première diffusion. Entendre cette réalisation tellement investie par tant de belles personnes propagée sur les ondes, était une nouvelle étape du rêve. J’étais à la mer, face au phare de l’Ile de Batz dont le feu me parvenait par intermittences, la lune presque pleine éclairait la mer. Sous mon gros casque, les ambiances sonores, les musiques, les voix, devenues si familières au cours des étapes de travail, résonnaient. Je savais que des ami.es, à distance, écoutaient en même temps. La gratitude pour ce moment magique vibre encore. Je crois qu’un morceau de mon cœur est resté dans J’ai tant rêvé de toi.

Avec sa tendresse à fleur de peau, A/ENCRER aussi me secoue le coeur et l’âme. En juin, Elise Argouac’h était à mes côtés, à Bruxelles et nos récits tatouages ont pu se mêler pleinement, les échos de la parole de l’une s’étendant à celle de l’autre. Un premier atelier participatif en lien avec le spectacle a éclos, au Théâtre de la Parole, dans une intimité partagée pleine d’émotions. Avec Elise, nous écrivons un article pour le service d’éducation permanente du Théâtre de la Parole et continuons la collecte et le partage de ces récits d’encre et d’épiderme. Au Festival Paroles de Conteur.euses de Vassivière, à la Journée Professionnelle du 23 août, ce sera en duo symbolique qu’A/ENCRER déploiera l’oriflamme de la tendresse à travers nos histoires de tatouages. Elise ne pourra être présente physiquement mais sa voix résonnera et je sais que je la sentirai présente à mes côtés.

Assise, debout, couchée d’Ovidie faisait partie des livres lus durant mon estivation. « Le chien est acteur dans sa relation à l’humain. Lui aussi influence son compagnon bipède, le fait, le fabrique. C’est la raison pour laquelle il faut lui redonner une histoire, de son point de vue. »

Quand, avec Ludwine Deblon, nous travaillions sur Les Alliés, nous explorions chacune un lien puissant noué avec une autre espèce lors de la domestication. Si Ludwine raconte le cheval, la relation au chien s’imposait comme une évidence pour moi. Raconter l’Odyssée, en me plaçant à côté d’Argos, le chien d’Ulysse, avait étrangement fait surgir ma Pénélope. En rêvant le chien assis face à la mer, j’ai trouvé la Reine d’Ithaque blottie à ses côtés. Nous raconterons Les Alliés le 20 septembre, au Dé à Coudre, à Bruxelles et je suis très heureuse de retrouver la vague d’émotions qui l’accompagne.

Enfin, fin juin, nous avons eu la chance, Julie Boitte et moi, d’être accueillies en résidence à Brocéliande, au Centre de l’Imaginaire arthurien. Rencontres et partages ont ponctué notre séjour. La découverte de cette forêt où la légende chante encore a été une source d’inspiration. D’une rêverie à l’autre, entre lectures et recherches, notre future création se nourrit. Nous partons à la recherche de Nos Dames. Nous laissons s’approcher doucement la Souveraine et la Magicienne, attentives aux signes de leur présence. Catherine Pierloz nous aide à les convoquer. La quête se poursuit bientôt.

« Le récit le plus vrai, c’est celui qui préexiste à qui saura l’entendre. Il a déjà pris forme de manière autonome, quelque part en amont. L’histoire peu à peu se laissera dérouler depuis un écheveau invisible à l’œil nu. Il faut être attentive, ne pas brusquer les choses.

Le chant de la Rivière, Wendy Delorme

Tendre écume

Photo: Dominique Bruyneel

Il y a quelque temps, j’ai rêvé que je marchais dans un champ labouré par le galop de centaines de chevaux. L’air était rempli de chants d’oiseaux, pourtant on ne les voyait pas. Le bruit de la mer, invisible aussi, résonnait en arrière-fonds.

Puis, la terre s’est soulevée, a formé des vagues, elles ondulaient, roulaient les unes sur les autres. Les chants des oiseaux étaient devenus des mots répétés en boucle dans l’air humide. Ces vagues de terre étaient désormais surmontées d’écume. Je me suis penchée pour l’effleurer du bout des doigts: c’était des lambeaux de pages tapées à la machine avec des bribes de poèmes.

Quand je me suis éveillée, la mémoire du songe était vive et je n’étais pas étonnée. Ces temps-ci, les nouvelles créations occupent tant mon coeur et ma vie qu’elles s’invitent jusque dans mes rêves.

J’ai tant rêvé de toi, fiction radiophonique autour de Robert Desnos, a franchi de nouvelles étapes. Les voix ont été enregistrées au Studio le Trèfle, à Forest. C’était un moment d’émotion intense de les sentir vivantes, incarnées. La création musicale se met en étonnante résonance avec les rêveries du scénario et le montage a commencé à Cinédit et à l’ACSR. Il y a quelque chose de l’ordre de l’alchimie qui se met en place. On s’arrête sur un souffle, on sélectionne un rire, on découvre des liens, des miroirs, des redites, on tranche, on choisit, on éclaire, on transforme, on avance. Une des magies primordiales de J’ai tant rêvé de toi réside dans les rencontres qu’elle a provoquées, dans la douceur et la tendresse qu’elle suscite. Je suis pleine de gratitude d’être entourée de si belles personnes pour cette première création radio.

Les autres créations ne sont pas moins de celles qui m’ébranlent le coeur et l’âme. Il y a eu A/ENCRER, proposé au Réservoir Bar dans le cadre de Propulse Off dans une version seule en scène mais duo symbolique avec le défi de faire résonner la voix d’Elise Argouarc’h et de la rendre présente malgré son absence physique. Il y avait de la tendresse radicale cette soirée là, dans un lieu doux, bruyant de vie et chaleureux. En juin, Elise sera en Belgique et, en collaboration avec le Théâtre de la Parole, nous renouerons, notamment lors d’ateliers, avec la version en duo de ces récits d’encre, de peau et de métamorphoses.

Il y a eu la résidence à l’Entrela, à Evere, pour les Biographies animales, avec Ludwine Deblon, sous le regard de Bernard Cogniaux. Choisir les histoires composant ce spectacle a probablement été la chose la plus compliquée. Chacune de ces vies nous touche pour une raison ou une autre, vibrant avec nos propres expériences et parcours. Chacune de ces trajectoires, non-humaine ou humaine, est unique et précieuse à sa façon. Entre dias et pellicule super 8 qui accompagnent la parole contée, c’est le côté mémoire familiale informelle qui s’invite pour partager ces histoires en toute simplicité. Nous espérons que ces récits où sont évoqués entre autres un chat de gouttière, un dauphin, un chien, un soldat américain, un perroquet gris, une panthère bruxelloise donneront l’envie au public de partager les souvenirs en lien avec leurs proches félins, canins ou autres.

Avec Julie Boitte, nos avons présenté Mon sang coule dans tes veines à la bibliothèque d’Ixelles dans le cadre du cycle Héroïnes en littérature. Á côté de la version sur scène et de la version promenade contée, c’est une version « salon » qui a éclos ce soir-là dans un cocon intime, dans un va et vient entre nous et nos héroïnes, entre le souffle et les regards, dans une convocation presque magique de celles qui nous font vibrer à travers les miroirs du temps. « Où est la lisière entre soi et l’autre quand on aime à ce point? », question qui ne cesse de nous hanter.

Et, à propos de magie et de voyage dans le temps, la prochaine création à venir se dégage peu à peu de la brume. Avec Julie, nous laissons venir à nous nos Dames du Lac. Entre landes, lacs transparents, fontaines moussues et arbres centenaires, le lieu qui hébergera la première étape de cette recherche est déjà un voyage.

Quand je vois, je ressens, et pendant quelques instants, je suis les autres, eux et moi ne faisons qu’un et leur douleur ou leur plaisir est le mien. Ca ressemble à de la magie, c’est d’ailleurs ce que j’ai cru pendant longtemps…

Je pleure encore la beauté du monde, Charlotte MCConaghy

Phosphorescence en automne

Photo: Dominique Bruyneel

Cette année, j’ai presque été tentée de croire que l’été était devenu éternel.

Mais l’automne est bien là. Avec un ciel lourd, l’odeur des feuilles d’arbres qui se mêlent à la terre mouillée et des frissons qui s’invitent sur la peau. J’éprouve l’envie de m’enrouler dans une couverture au coin du feu et de me figer dans l’attente du retour du soleil. Comme souvent, la création et l’amitié viennent m’extirper aussi bien du canapé que de la mélancolie.

Cet automne, je désire le consacrer à l’exploration. Plus que jamais, je veux garder ma fascination pour les mondes qui s’entremêlent et les brèches par lesquelles la lumière peut surgir.

C’est le moment de la première étape « concrète » de la fiction radiophonique autour de Robert Desnos J’ai tant rêvé de toi. Dans un monde qui semble parfois prêt à sombrer dans l’abime, cette histoire ne manque pas de me rappeler qu’il n’y a pas de lumière sans noirceur. Nous avons tenté de réinventer le réel par la magie du bruitage. Dans un lieu magique, le studio Philophon, bakélite, caoutchouc ou lainage peuvent devenir nacre, galets roulants, orage ou la page qui se tourne d’un destin épris de tendresse. En évoquant la pluie, le vent, la flamme, nous invitons à entrer dans la grotte de bal, à glisser à travers le temps. Pour cette grande aventure, je plonge dans des zones de création inconnues mais en belle compagnie. Je savoure chaque instant de ce voyage.

Cet automne est aussi le temps de découvrir et d’apprendre avec la formation Ombres, lanternes magiques et fantasmagorie; une autre image animée, de la Cie des Rémouleurs. À l’époque des écrans numériques, c’est savourer le paradoxe de retrouver parfois la flamme d’une bougie et accepter une manipulation vivante qui laisse la place à l’imprévu, rarement reproductible « exactement ». Après avoir tenté de convoquer la phosphorescence en studio, de façon sonore, je la retrouve évoquée, cette fois pour sa lumière magique.

Lors de ces dernières semaines, des récits chers à mon cœur se sont succédés. Au Festival Brin de Causette, Fondu enchaîné, avec Michel Verbeek, m’a fait retrouver avec tendresse nos souvenirs cinéma. En racontant Les Alliés avec Ludwine Deblon, entre mythes et récits de vie, j’ai été, comme à chaque fois, entraînée sur le chemin du lien tissé avec le chien et le cheval. Avec Julie Boitte, lors d’une séance magique de Mon sang coule dans tes veines dans les pièces mystérieuses du château d’Enghien, nous avons arpenté les couloirs du temps, avec l’impression de sentir nos héroïnes à nos côtés.

Bientôt, ce seront des séances de Passer l’hiver, récit éthologique pour jeune public qui se nicheront dans les salles, bien en accord avec la saison. Et je me réjouis de renouer avec l’énergie savoureuse de la famille blaireau.

Peu à peu, la nouvelle création à venir se révèle et se dessine. Avec Julie Boitte, nous explorons des fragments de la légende arthurienne, plongeant dans cette matière fascinante pour partir à la rencontre de nos Dames du Lac. Là aussi, le voyage s’annonce beau et vibrant.

Prêtez -moi le coeur et l’oreille car la parole se perd si le coeur n’entend pas »

Chrétien de troyes, Yvain ou le Chevalier au lion

Grains de soleil

J’ai l’impression que l’été passe plus vite que les autres saisons. Peut-être parce qu’il est si gorgé de sensations contrastées, du tourbillon de la fête aux plages de repos. Cet été-ci ne fait pas mentir cette sensation.

Il y a eu des moments de joie intense. Le premier festival Miss Terre a été le coup d’envoi de cet été: y raconter une bribe de légende arthurienne, sur un lac, dans une vieille barque mosane, c’était comme un enchantement.

Les retrouvailles à Chiny avec Elise Argouarc’h pour A/ENCRER, c’était une fête aussi. Nous nous y sommes rendues d’abord pour une résidence d’artiste, ce qui nous a permis de réaliser une création lumière et aussi une captation vidéo actuellement en cours de montage. Ensuite, le spectacle a été présenté lors du festival, dans une séance où la tendresse était palpable. Le temps de rencontre en bord de scène est précieux et émouvant et les récits continuent de s’y déployer. Le spectacle existe mais n’est pas figé, nous le souhaitons en constante évolution, comme la peau. Le collectage continue donc, avec les nouvelles pistes et une attention particulière aux gens de l’eau, que ce soit celle de la mer, des fleuves ou des rivières. Des collaborations dans le cadre d’actions en « éducation permanente » s’esquissent également. Et Elise revient à Bruxelles en janvier. L’aventure continue.

« Les Alliés », en duo avec Ludwine Deblon, a été présenté au festival de Chiny et à Toutella. Il sera bientôt à Enghien, dans le cadre de Chimères. Ces récits évoquent le lien au cheval et au chien dans tout ce qu’il peut présenter d’éblouissements et de fatalité tendre et douloureuse. Pas étonnant que ce voyage nous emmène jusqu’au mythe.

Les tout premiers jalons des « Biographies animales » ont été posés. C’est Bernard Cogniaux qui en est le regard extérieur et qui nous a déjà aidées à mettre de l’ordre dans une matière foisonnante. Avec Ludwine Deblon, nous tenterons de faire découvrir quelques parcours de vie non-humains, dans toute leur individualité. Mon amour pour le cinéma y trouve quand même l’occasion de s’y déployer, notamment en s’offrant le plaisir gourmand de manipuler des plaques de lanterne magique et de la pellicule super 8!

Alors que je sens venir l’automne, je fais réserve des émerveillements de ces derniers mois.

Ainsi je me souviens avoir marché dans la mer, vers le soleil couchant et puis m’être couchée sur la planche dans l’attente de la vague sur laquelle glisser. En débutante absolue, même si je suis tombée à mi-chemin, en buvant la tasse à plusieurs reprises avant d’y arriver, j’ai aimé chaque moment de cette expérience: j’ai savouré le chant des vagues, la lumière dorée, le sel sur mes lèvres… et je me dis que vivre toutes les choses de cette manière-là, ce serait bon et que c’est à tenter.

J’ai eu aussi la chance de plonger le regard dans celui de Goose, un des loups de la réserve de Chabrières. J’ai eu le temps de me perdre dans ses iris jaunes, nez à nez de part et d’autre du hublot d’affut transparent de la palissade. Et j’ai pensé aux « Alliés », inévitablement…

Ou encore, au cœur d’une expo sur les Rossetti, entre romantisme radical et médiévisme moderne, j’ai croisé une gravure tout droit surgie de la légende arthurienne. Là, c’est aux héroïnes de « Mon sang coule dans tes veines » et à cet autre projet autour des Dames du Lac, aussi avec Julie Boitte, que j’ai songé avec tendresse.

C’est toute chargée de ces vibrations que j’aborde la rentrée. Prête à retrouver prochainement « Les Alliés », « Mon sang coule dans tes veines » et « Fondu enchaîné », ces souvenirs cinématographiques en duo avec Michel Verbeek qui reviennent sur scène pour trois représentations au festival Brin de Causette, saison 2023/24.

Et pour finir, je plonge à cœur perdu dans la création radiophonique de « J’ai tant rêvé de toi », entourée d’une équipe tellement belle que je sais que cela ne peut être qu’un émouvant voyage.

Accepter que chaque minute volatile soit vécue 7 fois plus intensément qu’à l’habitude, c’est se cogner à ce séduisant et vertigineux projet de ne saboter aucun instant et de célébrer la vie de manière forcenée.

cédric sapin-defour, Son odeur après la pluie

Intimes Territoires

Affiche de A/ENCRER

Ce printemps restera pour moi marqué d’une ambiance magique.

Partie pour un séjour au Québec, j’ai eu, à mon arrivée, la chance de croiser un lynx arpentant dans la neige son territoire. Évidemment, j’y ai lu un signe de bon augure…

Cela a été la joie des retrouvailles « en vrai » avec Elise Argouarc’h. Entre rencontres, collectage, répétitions avec Stéphanie Pelletier, nous nous sommes plongées dans A/ENCRER. Ce spectacle de récits (mythes, slams, récits de vie) sur le tatouage gardera une forme mouvante, s’adaptant au lieu et à l’instant, en mutation constante, un peu à l’image de notre peau.

Nous avons eu l’occasion de présenter A/ENCRER dans des lieux aux énergies étonnamment diverses. La première a eu lieu dans le cocon intime de la Salle du Clac au Château Landry, parfait pour une douce éclosion. C’était une chance d’y être en spectacle de préouverture du Festival La Crue des Mots.

La salle de concert des Bains Publics, à Rimouski, entrait en résonance avec l’aspect plus rock que peut revêtir le sujet et le festival Slam du Bien le Malt, avec l’énergie de la parole. Mais à chaque fois, c’est la vague de tendresse et de partage pendant et après le spectacle qui nous a accompagnées. Avec des rêves d’édition et un collectage qui se poursuit, nous explorons désormais de nouvelles pistes pour A/ENCRER. La prochaine étape de ce voyage se déroulera à Chiny pour la création lumière et on attend déjà d’être à nouveau réunies.

Il y a aussi eu le Festival littéraire La Crue des Mots. Entre littératures écrites et orales, c’est un surprenant moment de rencontres entre les publics, les artistes et les disciplines. Spectacles, séances scolaires, exposition, table ronde, le programme intense axé sur le thème « Nous, la Terre » se déroule avec la force tranquille de la Crue du printemps. C’est le bonheur des rencontres mêlé aussi d’un pincement au cœur au moment de partir, ingrédient qui permettra la joie des retrouvailles.

Avant cela, « Les Alliés » aussi avait connu sa première représentation en public. Sur le site résonnant d’histoires de la Malagne, à la lueur des lanternes, dans ce moment étrange du chien-loup, évoquer nos alliés, chien et cheval, était tout particulièrement émouvant. L’attente, le lien, l’amour aussi, dans toute sa beauté, son ivresse et ses déchirements sont au cœur de ces récits.

Desnos est, comme toujours, présent dans ces moments où je laisse mon âme partir en promenade. Tout bientôt, pour la fiction radiophonique « J’ai tant rêvé de toi », c’est la réunion de démarrage à l’accompagnement à l’ACSR. Être entourée d’un tel compagnonnage me rassure et m’apaise. Grâce à Monique Michel, « Perdre ta réalité? », le volet scénique, axé, lui, sur le récit de vie et la poésie, esquisse également ses premiers pas.

Enfin, avec une résidence d’artiste pour une création lumière, à l’école de la scène, en compagnie de Julie Boitte et Isabelle Puissant, la reine Alienor et la vampire Carmille pourront bientôt se retrouver.

J’ai parfois l’impression de nager, une écaille d’ondine plantée dans le coeur, à travers les eaux de la mémoire, de l’intime. Eaux parfois troubles, parfois limpides. Mon phare dans ces flots émouvants, c’est décidément le lien, l’émerveillement.

Les lieux où j’ai aimé me façonnent un pays, une cartographie de l’intime, les routes vagabondes de mes attachements

Anaîs Barbeau-Lavalette, Femme-Fleuve

Un fil rouge

L’année n’est déjà plus si nouvelle que cela. Les rendez-vous s’inscrivent comme des promesses dans un agenda où plumes, feuilles séchées, dessins et autres trésors commencent de se blottir entre les pages.

La version scénique de « Mon sang coule dans tes veines », en duo avec Julie Boitte, a été présentée, le temps d’un extrait, lors de la Journée professionnelle de Chiny. C’était un grand moment d’émotion de partager avec le public, dans l’écrin d’une salle, notre rencontre avec nos deux héroïnes. Désormais, les deux versions de ce spectacle, la balade et la scénique, vont co-exister. Une nouvelle résidence artistique s’annonce aussi, notamment pour tenter de révéler par le biais de réalisations poético-sonores quelques bribes de récits liées à d’autres moments de vie de nos héroïnes.

« Les Alliés », en duo avec Ludwine Deblon, continue aussi son parcours. Une résidence d’écriture de plateau nous attend bientôt à Chiny, Cité des Contes. On se dirige vers une création à géométrie variable. Une part de chacune des représentations sera intiment liée au lieu où elle se déroule et à ses habitants, attentive au souffle passé et présent de l’endroit. Dans cette création qui mêle la mythologie et le récit de vie à l’histoire de la domestication, nous nous pencherons surtout sur notre lien au cheval et au chien. En particulier, nous nous attacherons à Argos, le chien d’Ulysse et à Xanthos, le cheval d’Achille. Moi, je tenterai de me plonger dans la peau d’Argos, de sentir cette confrontation à l’absence vécue par une mémoire canine essentiellement affective. Et je sens déjà le vertige dans mon coeur.

Le projet de fiction radiophonique « J’ai tant rêvé de toi », consacré à l’histoire d’Ondine et de Desnos et de leurs rencontres à travers les ondes du temps, avance peu à peu… L’écriture de la « partition » s’achève, quelques personnages imprévus s’y invitant à ma grande surprise.

Enfin A/ENCRER est attendu au printemps pour une résidence au CLAC (Carrefour de la Littérature , des arts et de la Culture) au Québec. On ose à peine y croire mais cette fois Elise Argouarc’h et moi devrions nous retrouver « en vrai » sur scène pour partager ces récits de tatouage qui nous font vibrer l’âme et la peau.

Je découvre avec étonnement que ces créations qui pourraient sembler éparpillées me ramènent plutôt toujours vers le même chemin. Que ce soit par vagues ou par échos, à travers la peur de la perdre ou l’émerveillement du souvenir, c’est la mémoire qui souvent s’invite. C’est cette part du coeur qui, avec une tendresse acharnée, ne renonce jamais, qui me porte à travers ces récits.

J’ai arraché une plume de jais de ma coiffe et je l’ai laissée sur son front, pour sa tête, pour un souvenir, pour un avertissement, pour un brin de nuit dans le matin.

Max porter, Grief is the thing with feathers

Au coeur

C’est une période intense que celle-ci où les émotions fortes se succèdent. Il y a des moments de joie si éclatants que j’ai parfois l’impression d’avoir avalé un fragment de ce soleil d’été que j’aime tant.

Le Fonds d’Aide à la Création Radiophonique (FACR) soutient le projet de fiction « J’ai tant rêvé de toi ». Avec également l’appui précieux de l’ACSR (Atelier de Création sonore radiophonique), ce rêve éveillé devient bien tangible. L’histoire d’Ondine, lectrice amoureuse et de Desnos, le poète hippocampe, qu’elle cherche à rejoindre à travers le temps va pouvoir se déployer sur les ondes. Et je suis très, très émue à l’idée de réaliser cette fiction en compagnie de plein de belles personnes.

Début novembre, au festival du RAN (Rencontres archéologiques de la Narbonnaise), le court-métrage « Schmerling, une étincelle de lumière » a été projeté dans la superbe salle du Palais des Archevêques. Et a reçu le prix du court-métrage. Ce film a été réalisé, dans le cadre d’Un Futur pour la Culture, avec Ludwine Deblon et Smala Cinéma à un moment où la Vallée du Viroin était devenue notre seul horizon. Se pencher sur l’Atlas de Schmerling dans la vitrine du Musée du Malgré-Tout, ça avait donné l’envie qu’on s’attarde un peu plus sur ces pages jaunies, œuvre d’un précurseur hanté par ses recherches et un peu oublié. C’était beau d’entendre parler de lui après la projection.

Avec Julie Boitte, on a commencé le travail d’adaptation scénique de « Mon sang coule dans tes veines ». C’est un travail intense où nos singularités se croisent, se rencontrent mais avec la sensation de raconter ensemble. Une résidence de quelques jours à Chiny nous accueille prochainement et nous pourrons partager cela lors de la journée professionnelle de janvier.

Parfois, je me perds. En caressant une ammonite géante, en respirant l’odeur du goémon, en plongeant dans le regard d’un chien, en lisant un poème… Je ne sais plus où est l’ici et le maintenant, traversée par tant de souvenirs, de sensations. Peut-être parce que, voyageuse du temps, je suis toujours tellement touchée par l’éphémère, avec l’envie de contrer l’oubli. Mais quand même, je suis là, avec l’envie de raconter, de partager ces traversées émouvantes.

Dans la nuit il y a naturellement les sept merveilles du monde et la grandeur et le tragique et le charme.Les forêts s’y heurtent confusément avec des créatures de légende cachées dans les fourrés.

Robert Desnos, Á la mystérieuse

Havre d’automne

Livré posé sur une tombe au cimetière de Dieweg

Octobre, déjà…

Les différents projets et spectacles poursuivent leur chemin, se transforment au gré des rencontres et des sensations, comme animés d’une vie propre qui les poussent à s’épanouir à leur rythme.

« Mon sang coule dans tes veines », en duo avec Julie Boitte, expérimente une adaptation scénique. Au début du processus de création, quand nous avons initié ce voyage dans le temps à la rencontre de nos siècles de prédilection, nous avions l’impression que nos héroïnes, si vives et fascinantes, avaient besoin d’espace pour se déployer. Nous pouvions les convoquer mais elles ne tolèreraient aucune entrave: le ciel, un lac, des ruines ou une forêt étaient les lieux où leur énergie puissante pouvait rayonner.

Maintenant, c’est comme si à force de les rencontrer, de vibrer et vivre avec elles, nous avions atteint une connexion plus intime. Nous avons envie d’inviter à embarquer dans notre voyage dans le temps autant en extérieur dans des lieux de mémoire que dans le cocon d’une salle. Nous savons déjà que ce jeu d’échos entre ces deux formes et ces deux énergies sera riche de découvertes et d’émotions. Une résidence à Chiny-Cité des Contes nous permettra d’explorer cela tout bientôt.

Je participe prochainement à un stage d’initiation à la prise de son dans le documentaire radio organisé par l’Atelier de Création Sonore Radiophonique (ACSR) . Une autre façon d’explorer cette fascination pour les ondes qui s’invite en moi. Une façon aussi évidemment de partir une fois de plus à la rencontre de Robert Desnos, de questionner le lien entre « J’ai tant rêvé de toi », fiction radiophonique et « Perdre ta réalité? », récit de vie scénique.

Quant à « Territoires », en duo avec Ludwine Deblon, la première étape: « les Alliés » est inspirée de l’Archéoparc de la Malagne. La création se profile comme un de ces clichés qui, à l’inverse d’un instantané, s’obtient par une très longue exposition à la lumière. Transposé à la littérature orale, on pourrait dire que ça consiste à se laisser imbiber par un lieu à travers le temps, à rêver, à laisser se mêler les sons et les senteurs… Je sais déjà que quelques bribes de récit qui y seront esquissés se développeront pleinement plus tard, dans un autre rêve.

Sinon, il y a « A/ENCRER » qui continue sa récolte d’histoires, se laissant porter par ces pigments qui marquent corps et âmes. Il y aura le plaisir de présenter des séances et animer un débat au Festival Filem’On, il y a les ateliers du Bestiaire Magique qui recommencent et les projections de « Schmerling, une étincelle de lumière » au Festival de la Narbonnaise qui approchent: un archipel d’éclats de joie.

La seule chose qui serait pire que d’avoir été cerné par des sirènes, ce serait de devoir se résigner à l’idée que c’étaient point des sirènes

Dominique Scali, les marins ne savent pas nager

Plongées

L’été est passé, à la vitesse de l’instant, toujours à voyager dans le temps, à rêver, parfois sans tenter de démêler le songe de la réalité. La frontière entre les deux est si mouvante et émouvante qu’il est passionnant d’y trainer.

« Mon sang coule dans tes veines » sera raconté le 25 septembre au Cimetière du Dieweg, à Uccle, et d’autres rendez-vous se profilent dans des lieux enchanteurs. Julie Boitte et moi partageons nos rencontres, à travers nos siècles de prédilection, 19ème siècle gothique et 12ème siècle rayonnant, avec ces héroïnes qui nous fascinent et dont l’énergie nous soutient au quotidien. Et c’est une expérience toujours aussi forte.

Les projets de « Un petit supplément d’âme » poursuivent leurs trajectoires. Avec Elise Argouarc’h, pour A/ENCRER, nous continuons la collecte de récits liés au tatouage. À l’instar des marins présents dans certaines des histoires, nous dressons la carte des étapes de ce voyage à fleur de peau.

Avec Ludwine Deblon, il y a eu une résidence d’artistes à l’Archéoparc de la Malagne. Entre immersion, expérimentations et recherches, celle-ci a permis d’avancer dans ce premier épisode de « Territoires »: « Les Alliés ». Il y sera notamment question de domestication, de mythologie. Ludwine explore avec joie ces temps anciens, renouant avec ses passions archéologiques. Moi, je me plonge dans un regard ambré et me perds, le cœur battant, dans ce lien si vibrant qui nous relie au chien. Les points de vue se rejoignent pourtant, le travail s’annonce intense.

Toujours dans ce cadre archéologique, ça a été une douce surprise d’apprendre que « Schmerling, une étincelle de lumière », le court-métrage d’animation réalisé l’été passé pour les « Mémoires parallèles du Malgré-Tout » dans le cadre d’Un Futur pour la Culture, sera présenté au Festival du film archéologique de Rochefort et est sélectionné en compétition officielle du Festival de Narbonne. Imaginer que l’histoire de ce précurseur un peu oublié puisse être partagée grâce à cela me touche beaucoup.

Quant à raconter Desnos, il s’agit maintenant d’une quête en deux parties indépendantes mais complémentaires. « J’ai tant rêvé de toi », fiction radiophonique, dressera le portrait d’une histoire d’amour imaginaire à travers le temps tandis que « Perdre ta réalité? » envisagera le récit de vie et l’œuvre poétique, dépassant presque l’imaginaire.

Le stage Phonurgia « L’art des comédien.nes au micro » sous la direction de Benjamin Abitan a été une source de réflexion précieuse, une invitation à partir à la découverte du « langage cru » même et surtout si c’est une continuelle remise en question. Un lien vers un des exercices réalisés est disponible dans l’onglet radio.

Sinon, la figure de l’ondine est étonnamment présente dans mon travail ces derniers temps, surgissant parfois là où elle n’était pas attendue. Peut-être parce que plonger dans les récits, c’est comme se laisser porter par la vague, une même manière de savourer des instants suspendus au milieu de tendres écumes.

Chaque vivant reçoit sa propre intensité d’existence à la fois du fait d’en donner à d’autres et du fait d’en recevoir d’autres

Vinciane Despret, Autobiographie d’un poulpe

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