Photo: Dominique Bruyneel

Il y a quelque temps, j’ai rêvé que je marchais dans un champ labouré par le galop de centaines de chevaux. L’air était rempli de chants d’oiseaux, pourtant on ne les voyait pas. Le bruit de la mer, invisible aussi, résonnait en arrière-fonds.

Puis, la terre s’est soulevée, a formé des vagues, elles ondulaient, roulaient les unes sur les autres. Les chants des oiseaux étaient devenus des mots répétés en boucle dans l’air humide. Ces vagues de terre étaient désormais surmontées d’écume. Je me suis penchée pour l’effleurer du bout des doigts: c’était des lambeaux de pages tapées à la machine avec des bribes de poèmes.

Quand je me suis éveillée, la mémoire du songe était vive et je n’étais pas étonnée. Ces temps-ci, les nouvelles créations occupent tant mon coeur et ma vie qu’elles s’invitent jusque dans mes rêves.

J’ai tant rêvé de toi, fiction radiophonique autour de Robert Desnos, a franchi de nouvelles étapes. Les voix ont été enregistrées au Studio le Trèfle, à Forest. C’était un moment d’émotion intense de les sentir vivantes, incarnées. La création musicale se met en étonnante résonance avec les rêveries du scénario et le montage a commencé à Cinédit et à l’ACSR. Il y a quelque chose de l’ordre de l’alchimie qui se met en place. On s’arrête sur un souffle, on sélectionne un rire, on découvre des liens, des miroirs, des redites, on tranche, on choisit, on éclaire, on transforme, on avance. Une des magies primordiales de J’ai tant rêvé de toi réside dans les rencontres qu’elle a provoquées, dans la douceur et la tendresse qu’elle suscite. Je suis pleine de gratitude d’être entourée de si belles personnes pour cette première création radio.

Les autres créations ne sont pas moins de celles qui m’ébranlent le coeur et l’âme. Il y a eu A/ENCRER, proposé au Réservoir Bar dans le cadre de Propulse Off dans une version seule en scène mais duo symbolique avec le défi de faire résonner la voix d’Elise Argouarc’h et de la rendre présente malgré son absence physique. Il y avait de la tendresse radicale cette soirée là, dans un lieu doux, bruyant de vie et chaleureux. En juin, Elise sera en Belgique et, en collaboration avec le Théâtre de la Parole, nous renouerons, notamment lors d’ateliers, avec la version en duo de ces récits d’encre, de peau et de métamorphoses.

Il y a eu la résidence à l’Entrela, à Evere, pour les Biographies animales, avec Ludwine Deblon, sous le regard de Bernard Cogniaux. Choisir les histoires composant ce spectacle a probablement été la chose la plus compliquée. Chacune de ces vies nous touche pour une raison ou une autre, vibrant avec nos propres expériences et parcours. Chacune de ces trajectoires, non-humaine ou humaine, est unique et précieuse à sa façon. Entre dias et pellicule super 8 qui accompagnent la parole contée, c’est le côté mémoire familiale informelle qui s’invite pour partager ces histoires en toute simplicité. Nous espérons que ces récits où sont évoqués entre autres un chat de gouttière, un dauphin, un chien, un soldat américain, un perroquet gris, une panthère bruxelloise donneront l’envie au public de partager les souvenirs en lien avec leurs proches félins, canins ou autres.

Avec Julie Boitte, nos avons présenté Mon sang coule dans tes veines à la bibliothèque d’Ixelles dans le cadre du cycle Héroïnes en littérature. Á côté de la version sur scène et de la version promenade contée, c’est une version « salon » qui a éclos ce soir-là dans un cocon intime, dans un va et vient entre nous et nos héroïnes, entre le souffle et les regards, dans une convocation presque magique de celles qui nous font vibrer à travers les miroirs du temps. « Où est la lisière entre soi et l’autre quand on aime à ce point? », question qui ne cesse de nous hanter.

Et, à propos de magie et de voyage dans le temps, la prochaine création à venir se dégage peu à peu de la brume. Avec Julie, nous laissons venir à nous nos Dames du Lac. Entre landes, lacs transparents, fontaines moussues et arbres centenaires, le lieu qui hébergera la première étape de cette recherche est déjà un voyage.

Quand je vois, je ressens, et pendant quelques instants, je suis les autres, eux et moi ne faisons qu’un et leur douleur ou leur plaisir est le mien. Ca ressemble à de la magie, c’est d’ailleurs ce que j’ai cru pendant longtemps…

Je pleure encore la beauté du monde, Charlotte MCConaghy